Il me semble que ces travaux ont été importants dans le champ des travaux sur la soutenabilité de la croissance : combien de temps va-t-on pouvoir continuer à croître, et au prix de quelles destructions environnementales ? Elles ont donné naissance à tout un champ important qui inclut l’économie du climat (Économie du climat : où en est-on depuis Nordhaus ? | by Emmanuel Pont | Enquêtes écosophiques | Medium, l’économie des ressources, l’économie de l’environnement plus généralement, … C’est une part riche et dynamique de la science économique.
Maintenant, ces travaux ne sont pas importants au sens où ils n’ont pas inspiré tous les travaux de la discipline. Mais ça s’entend ! Il n’y a à ma connaissance pas de preuve que les ressources/l’énergie soient si importantes pour adresser d’autres questions fondamentales de la science économique. Quelques exemples non exhaustifs.
Concernant la croissance à court et moyen termes, il n’y a pas de preuves que l’énergie ait été la cause de crises comme celles de 2008 qui ne sont pas dues à des chocs pétroliers, qui eux-même ont eu des causes politiques. J’en parlais dans mon article sur JMJ, et dans les réponses aux critiques. Même certains écologues économiques (économistes de l’environnement ‹ hétérodoxes ›) reconnaissent même les limites de l’approche par les ressources pour expliquer les fluctuations de la croissance : « The emphasis of ecological economics on peak oil and resource limits to growth may be relevant over the long run, but is less capable of explaining precisely how oil contributes to concrete economic short-run crises now. »
Concernant les écarts de richesse entre pays, il existe des preuves beaucoup plus convaincantes et assises empiriquement que ce sont les institutions plutôt que les dotations en ressources qui les expliquent. Le fait d’être doté en ressources peut même être un désavantage.
L’économie du développement repose souvent sur des essais contrôles randomisés pour expliquer les causes de la pauvreté, et isoler l’impact des politiques de développement. Pourquoi mettre de l’énergie et des ressources partout, par exemple lorsqu’on parle de micro-crédit ?
On peut penser à la microéconomie. Une part de la théorie microéconomique est très abstraite et est pour moi de la recherche en maths appliquées (théorie du choix, théorie des jeux, théorie des enchères.) Une autre est plus appliquée et s’intéresse à des choix divers et variés (voter, corrompre, se prostituer, bombarder, commettre un crime, prescrire des médicaments pour un médecin, se marier, faire un discours de motivation dans une entreprise…). On voit mal en quoi les économistes qui pensent ces questions auraient a priori dû s’intéresser aux ressources ou à l’énergie. Et si on pense qu’ils auraient dû intégrer une variable environnementale dans leurs modèles, la charge de la preuve échoit à celui ou celle qui l’affirme.
Concernant l’évaluation microéconométrique des politiques de santé, d’éducation ou sur le marché du travail, on voit mal comment parler d’énergie ou de ressources permettrait d’isoler leur effet.
C’est vrai que les modèles du marché du travail comme ceux d’appariement n’incluent pas traditionnellement l’énergie, mais enfin, en l’absence de preuves que des variations exogènes de l’énergie causent des fluctuations du chômage conjoncturel, ou structurel, on voit mal ce que la variable énergétique/de ressource ferait là.
On pourrait ainsi multiplier aussi les exemples de question qui n’appellent pas une référence aux ressources naturelles et en énergie, sans preuve convaincante du contraire.
Mon sentiment est donc que ces travaux ont été importants là où ils permettaient de répondre à certaines questions précises. Mais que si beaucoup d’économistes ne les mobilisent pas, c’est parce que la mention de l’énergie ou des ressources ne permet pas de répondre à bien des questions de science économique. La science éco est plus large qu’on ne le pense.